Le Secret de l’Eminence Grise – Extraits

Ce texte est un extrait du Secret de l’Eminence Grise, le roman burlesque de Jean Pierre Banville, paru en mai 2014.

Institut National Géographique – fiche topographique

Éminence Grise
259 mètres d’altitude
commune de Clécy, Basse-Normandie

Sommet jumeau de l’Éminence, étant en fait sa face nord et séparé de celui-ci par une selle de 60 mètres. Le nom « Éminence Grise » provenant sans doute du couvert forestier composé majoritairement de bouleaux blancs (betula pubescent) qui donnent au sommet, durant l’hiver, une apparence grisâtre. Des vestiges mérovingiens furent retrouvés à sa base, notamment des fibules gravées au nom de Boitonvert II, un vassal de Sigientert IV. Des fouilles archéologiques s’y poursuivent. L’Éminence Grise est le site de l’unique station de ski alpin de la Basse-Normandie – cinq pistes et un circuit de ski de fond d’un kilomètre. Elle bénéficie du microclimat causé par un tunnel de vent qui s’engouffre depuis le Mont Pinçon, point culminant du département du Calvados, jusqu’à l’Éminence, causant une chute locale des températures et un enneigement partiel en face nord pendant dix semaines, en moyenne, durant l’hiver.

 
Le Secret de l'Eminence Grise

Chapitre 1 – Roulements de Tambours

 

— Il y a trois vaches sur la piste numéro 2 !
— Comment ça, trois vaches ? On va ouvrir dans deux heures et il y a encore des vaches qui viennent brouter les aiguilles de pin ?

Martial Congère, propriétaire et manager de la toute première station de ski alpin en Basse-Normandie, était à bout de souffle.
Depuis trois mois, il était sur place jour et nuit à monter les installations et voilà que les vaches de Monsieur Gouinfray se retrouvaient, encore une fois, sur la piste numéro 2 pour y brouter les aiguilles de pin. Le fermier devait pourtant garder ses vaches, veaux et cochons dans leurs enclos, loin des aiguilles !

— On va lui faire payer les aiguilles que ses hamburgers sur pattes ont dévorées ! Au prix actuel des aiguilles de pin… Tout le monde sait bien qu’il nous faut un maximum d’aiguilles en cas de manque de neige… c’est le substitut idéal… les skis glissent tout seuls sur les aiguilles ! Et en prime, les aiguilles isolent la neige du sol. Et d’ailleurs, elle arrive quand, la dernière livraison de neige ?
— Les camions viennent de quitter l’entrepôt frigorifique… vingt minutes et ils sont là !
— Horace, tu connais ton horaire : la première fin de semaine – et surtout aujourd’hui – c’est le temps des rodages. Tu n’as pas à t’occuper de la boutique ou de la vente de billets. Aujourd’hui, gratuit pour tout le monde mais personne ne doit s’attendre à des miracles. Pas de cours de ski non plus. Et comme on n’a pas fait de publicité, il ne viendra personne… donc tu étends la neige qui va être livrée dans le bas de la 2 puis tu attaches les rouleaux au quad et tu tentes de donner à tout ça un air alpin.

Horace Spergule, ami d’enfance de Congère et factotum de service à L’Éminence Grise, hocha la tête.

— On aurait peut-être dû essayer les rouleaux avant l’ouverture, tu ne crois pas ?
— Trop de choses à faire, dit Congère, donc tu roules la pente puis tu vas donner les téléskis… à moins que je ne trouve quelqu’un pour les téléskis… on verra qui va se présenter. Tiens, je vais demander à Tubule, le gars de la patrouille de ski… c’est pas aujourd’hui qu’il va crouler sous les blessés !

Martial Congère regarda le bas de la montagne par la fenêtre de son bureau. Quelle aventure ! Depuis toujours il voulait posséder une station de ski. Mais l’argent manquait pour acheter une station en opération et, écologie oblige, impossible d’ouvrir une nouvelle montagne dans l’arc alpin, les Pyrénées ou les Vosges. Il fallait donc innover…
Une seule solution s’imposait : troquer la majesté des cimes alpines pour les collines d’un département qui n’avait jamais connu le ski, qui n’avait pas de montagne adéquate, qui possédait un enneigement naturel pour tout dire limite. De ce fait, les élus de ce département étaient tout à fait à l’aise pour autoriser l’ouverture d’une petite station sur ce qui était auparavant une colline à vaches.

On faisait face à des défis techniques majeurs, bien entendu.

La neige… ou l’absence de neige… faisait que Martial avait dû être créatif. Tout d’abord des pistes étroites et sinueuses pour éviter que le soleil frappe directement le couvert neigeux. Ensuite, il avait fait recouvrir les cinq pistes d’aiguilles de pin servant à isoler la neige du sol mais surtout permettant la glisse en cas de manque de couvert neigeux. Et les aiguilles, il se les procurait dans les Landes où un cyclone avait fait, il y a quelques années, des ravages dans la population de pins. Encore mieux, il avait trouvé, en fouillant les avis de faillites, un fournisseur de toiles de piscine, ces toiles qui permettent de réchauffer l’eau ou de garder une température idéale en l’isolant de l’air ambiant. Il avait racheté toute la faillite et les toiles, enroulées sur leurs bobines, longeaient le bord des pistes. Chaque soir, Horace Spergule déroulait les toiles et couvrait la neige pour éviter sa fonte ou les dégâts causés par la pluie, une pluie toujours à redouter dans un département qui était célèbre pour la quantité de mousse qui y pousse sur tout ce qui reste immobile un court instant.

Mais l’idée de génie, ce fut de louer une partie de l’entrepôt frigorifique d’une fromagerie en perte de vitesse pour cause de mondialisation, d’y installer deux canons à neige reliés par un tuyau avec l’Orne – de façon tout à fait confidentielle – et de cracher de la neige toutes les nuits, dans l’entrepôt, pour la ramasser le matin, la charger dans des camions et l’amener à l’Éminence Grise et finalement l’étendre sur les pistes avant l’arrivée des skieurs.
Restait le problème de la remontée mécanique !

— La neige vient d’arriver, Martial, je vais l’étendre sur la piste 2, ensuite je la dame. Et tu ne le croiras pas mais il y a trois automobiles dans le stationnement ! Des amis du maire sans doute. On lui avait mentionné, au maire Rifloir, de ne rien dire avant l’ouverture officielle la semaine prochaine !
— Déjà du monde ! Personne ne monte aujourd’hui sinon pour des vérifications de procédures internes. Reviens vite pour ouvrir la cafétéria : il y a sans doute de l’argent à faire avec le café et les croissants…

Restait le problème de la remontée mécanique, donc.

Impossible de se procurer une remontée traditionnelle : les coûts sont faramineux et la municipalité ne voulait pas de vilains pylônes permanents qui nuiraient à l’aspect bucolique du paysage et surtout attireraient tous les écologistes et les révisionnistes climatiques des départements voisins. On peut justifier de couper des arbres si c’est pour la revente du bois et quand tous les profits reviennent à la commune. Le maire, Augustin Rifloir, avait été clair : pas d’avalanche de mauvaises nouvelles, pas même un entrefilet négatif dans les quotidiens. Pas de manifestations des ramasseurs de champignons ou des chercheurs de tubercules. Que du naturel ou presque… Les aiguilles pouvaient se justifier en alléguant que c’était le substrat parfait pour la prochaine saison mycologique mais les pylônes n’ont jamais rien fait pousser sinon des problèmes !

Alors là, avec peu d’argent et pas de pylônes, Martial Congère avait dû être encore plus imaginatif quant à l’unique remontée. Après de longues recherches, il avait trouvé une entreprise canadienne, dirigée par un immigré russe, ayant mis au point une remontée portative fonctionnant avec un moteur de tondeuse à gazon et un câble sans fin. Il suffisait d’ancrer le moteur au sommet de la pente puis de fixer une poulie en bas et le tour était joué !

Joué, c’était vite dit… l’appareil était arrivé avec dix mètres de câble en moins ! Dix mètres en moins ce qui signifiait que les skieurs allaient non seulement devoir se tenir par une main à un crochet attaché au câble mais aussi monter quelques mètres à pied avant d’atteindre le vrai sommet skiable de l’Éminence Grise. Ceux qui disent que le ski alpin n’est pas un sport épuisant allaient ravaler leurs paroles après une journée sur leurs planches dans la station de Clécy.

Et que dire de l’installation : le moteur avait dévalé une partie de la colline à quelques reprises avant qu’on trouve le moyen idéal de le fixer à demeure au sommet. Restait à voir combien de personnes le câble pouvait tirer en même temps et à quelle vitesse. D’où les tests pour la finalisation des procédures de fonctionnement…

Mais une station de ski n’est pas une vraie station sans un chalet, non ?
Là encore, le mot d’ordre était impermanence. Rien qui ne pouvait se démonter et se transporter rapidement. Il n’y avait qu’une solution : un parc de semi-remorques ! L’armée grecque possédait des semi-remorques dont le gouvernement, en semi-faillite, désirait se débarrasser à tout prix et à surtout à n’importe quel prix.
Cinq remorques, sur lesquelles on apercevait encore le pavillon grec sous une peinture « Gris Éminence » appliquée à la hâte, groupées en demi-cercle autour du remonte-pente, servaient de chalet et de bureaux à la première station de ski de Basse-Normandie. L’une d’elle abritait la cafétéria qui allait offrir du café – d’où le terme cafétéria –, des sandwiches au camembert et des assiettes de fruits et légumes locaux. La seconde servait de salle commune pour mettre ses bottes, se réchauffer ou discuter des performances médiocres de ses voisins. Une troisième était allouée au local de la patrouille de ski qui la partageait avec l’école de ski dont l’unique moniteur, Ovide Godille, avait donné sa démission la journée précédente, craignant de perdre sa réputation en enseignant dans le désert normand. Une autre remorque était officiellement le bureau de l’administration et on rangeait tout l’équipement inutilisé dans la dernière.

Horace Spergule était sur le quad, poussant vaillamment vers le haut de la piste numéro 2 les buttes de neige laissées par les camions. Assez facile car les pistes de l’Éminence Grise ne faisaient que six mètres de largeur ce qui était la longueur des bâches de piscine servant à couvrir la neige durant la nuit.
Il était donc possible, à la fermeture et selon la météo annoncée, de recouvrir rapidement les cinq pentes avec ces toiles puis d’aller finir la journée par un calvados au bar « Le Chanoine Chauve » à Clécy. Si le temps était à la neige, on laissait la nature faire son œuvre et on pouvait quitter tôt et boire deux calvados sinon plus au Chanoine Chauve !

Martial Congère se décida à sortir prendre l’air et – pourquoi pas – monter au sommet pour lancer le moteur et faire fonctionner la remontée. S’il y avait du monde en bas, il pourrait leur demander – après signature d’une décharge de responsabilité – d’utiliser l’engin et d’en vérifier la solidité… disons six personnes pour débuter… six sur le câble en même temps… le pire qui pouvait arriver c’est que le câble se mette à reculer sous le poids… le moteur étant maintenant solidement fixé à de gros rochers qui affleuraient au sommet, ancré par quatre points utilisés en escalade et certifiés par la Fédération de la Montagne et de l’Escapade. Lui, il ne bougerait plus !
Ce ne sont pas les soixante-dix mètres de dénivelé de la station, à pied, qui allaient lui faire peur ! Et on ne pouvait pas dire que l’inclinaison des pentes, c’était du ski extrême ! Mais comparé à rien du tout… en fait, Clécy en ski, c’était une maudite bonne idée !

Dix minutes plus tard, il contemplait à travers les arbres le panorama de la Suisse Normande qui s’étendait à ses pieds. Quel beau pays ! Et si tranquille ! Le calme plat tellement qu’on pouvait entendre la mousse pousser sur les bouleaux. Et il neigeait juste assez pour satisfaire aux besoins d’une station si on y mettait un peu d’imagination.

Congère fit quelques réglages de l’arrivée d’air et d’essence puis démarra le moteur du remonte-pente. Une fumée noire et huileuse s’éleva dans le ciel clair : il serait nécessaire de revoir le ratio du mélange… Il engagea la transmission et le câble se mit à filer à bonne vitesse avec un sifflement strident. Dommage qu’il manque quelques mètres… les novices devraient se débrouiller rapidement pour laisser la place à ceux qui suivaient sinon ce serait un carambolage alpin.
Il aperçut Horace, tout en bas, qui accrochait les rouleaux et la chaîne à l’arrière du quad : la nouvelle neige devait donc être étendue et la piste ne demandait qu’un polissage qui relevait plus de l’esthétique que de la nécessité. De toute façon la météo annonçait de la neige pour les quelques prochaines nuits : il faudrait, avant l’ouverture officielle, refaire tout le damage pour satisfaire une clientèle peu habituée à la poudreuse profonde. Si on peut appeler six à huit centimètres de neige de la poudreuse profonde…

Martial Congère avait apporté avec lui une pelle à neige. Dans une station de ski, tous les employés savent qu’il faut toujours traîner avec soi une pelle à neige de bonne dimension. Elle peut être utile pour corriger le tracé des remontées, elle peut servir à boucher les trous dans les pentes, elle est incomparable pour sortir les skieurs imprudents qui s’aventurent trop près des arbres et qui tombent dans les puits se formant autour des troncs mais elle est surtout l’outil indispensable pour qui veut descendre rapidement vers le bas des pistes. Il suffit de s’asseoir dans la pelle, de tenir le manche en avant de soi et de garder les pieds vers le haut. Certains préfèrent la position agenouillée. Une poussée et c’est digne d’une charge de cavalerie : une pelle à neige en aluminium de bonne dimension aurait une place de choix aux Olympiques si seulement les manufacturiers de pelles avaient les moyens de satisfaire les besoins en bakchichs du CIO !
La pelle et son conducteur négocièrent avec brio les virages de la pente numéro 3 et le manager de l’Éminence Grise arriva au remonte-pente au moment où Horace Spergule entamait la remontée avec la dameuse maison. Déjà, il était facile de voir que le travail ne serait pas de tout repos.

Toute la semaine précédente, on avait utilisé un seul rouleau et une chaîne derrière le quad mais, pour des raisons d’efficacité, il était évident que deux rouleaux feraient le travail beaucoup plus vite ! À six mètres de largeur par pente, un seul aller et retour serait nécessaire ce qui permettrait à Horace de s’occuper de la billetterie, de servir à la cafétéria et à la boutique, de donner les remonte-pentes et de répondre au téléphone. Le tout résumé dans une stricte procédure qui ne souffrait aucun retard pour que la station puisse donner son plein potentiel.

Le quad montait avec peine : son moteur peinait à la charge et les roues creusaient des sillons que les rouleaux ne pouvaient effacer. Congère regardait en se disant qu’il devrait trouver un quad plus puissant ou revenir à la solution du rouleau unique. Par contre, le sifflement du câble de la remontée annonçait que, de ce côté-là, tout fonctionnait à merveille. Il allait pouvoir offrir à quelques skieurs un aller gratuit vers le sommet pour tester le glissement possible du câble sur les poulies. Mais auparavant, un petit café noir…

Il y avait trois personnes qui attendaient dans la remorque-cafétéria… bien que les procédures
demandaient qu’Horace soit, durant dix minutes le matin, le barista en chef de la Simonetti, la grosse machine espresso acquise au marché aux puces du village voisin, Congère n’eut d’autre choix que de servir le café et les croissants au camembert local demandés par les clients. Il avala son propre café rapidement, saisit une brioche aux amandes et sortit pour voir où en étaient rendus les travaux de damage.

C’était pire que tout… le quad avait atteint le premier petit mur de la piste, juste avant le virage. En fait, le quad était au sommet du petit mur – un changement d’angle de quelques degrés, bien assez pour faire peur aux débutants – mais les rouleaux étaient encore au-dessus de l’abîme ! Disons que le mur faisait trois mètres de long avec un angle de dix degrés de plus que la moyenne des pentes mais c’était le genre d’abîme dont on pouvait s’attendre en skiant à l’Éminence Grise.
Horace Spergule poussait le moteur à fond, les roues tournaient en vain tout en creusant la surface neigeuse. Soudain les roues atteignirent le niveau des aiguilles de pin et patinèrent, perdant tout contact avec la réalité. Le poids des rouleaux et de la chaîne entraînèrent le quad vers l’arrière et le lança dans une glissade à reculons. Horace donna le maximum de puissance mais c’était trop tard : tout le train de damage accéléra rapidement en direction de la base de la station dans une descente digne de Franz Klammer dans ses belles années.

Horace compris qu’il était capitaine d’un navire en perdition et, comme il était seul, rien ne l’empêchait de quitter la timonerie avant le naufrage. Il s’éjecta pour retomber dans la neige molle sur le côté de la piste. Le quad et les rouleaux, maintenant sans maître à bord, accélérèrent avec un certain entrain, sautant et culbutant sans rime ni raison.
Martial Congère, en bas de la pente, observait le désastre en devenir en se disant que, lorsque le quad et les rouleaux allaient frapper la remorque, ce serait la fin des aspirations culinaires à la station… quand il aperçut une ombre qui sortait d’une talle de bouleaux blancs…
Une des vaches de monsieur Gouinfray qui venait chercher sa ration d’aiguilles de pin !
La bête… bête… s’avança dans la piste et gratta la neige pour atteindre les aiguilles au moment où les rouleaux, cessant leur sarabande, prenaient une envolée qui fit tourbillonner le quad, l’amenant à la verticale de la vache.

Les rouleaux, ne tirant plus rien pour un court instant, allèrent percuter l’animal avec une force peu commune. Une vache normande pèse environ 600 kilos et son cerveau ne fait que quelques grammes mais deux rouleaux faits de vieux barils de calvados lestés, descendant une pente de ski pour débutants, génèrent une force de plusieurs tonnes et le pauvre animal n’avait aucune chance contre les lois de Newton et l’art des fabricants de barils de calvados…
Frappée de plein fouet, elle succomba sur le coup et le cadavre fut projeté en direction de la station.

Juste à ce moment, un véhicule utilitaire aux couleurs des sapeurs-pompiers de Basse-Normandie prit le virage avec l’intention d’aller stationner devant la porte de la remorque-cafétéria.
La vache, encore dans les airs, fit un 360 degrés aérien digne d’un skieur acrobatique et retomba lourdement sur le capot du véhicule qui stoppa net !
Les gyrophares s’allumèrent, la sirène commença à hurler et les sacs gonflables du conducteur et du passager furent activés sous l’impact. Une fumée blanche surgit sous l’animal gisant sur ce qui restait du moteur. Martial Congère se précipita vers la porte du véhicule, côté conducteur.

— Commandant Sébastien ! Commandant Sébastien ! Vous allez bien ? Êtes-vous blessé ? Ouf… vous avez une vilaine brûlure au visage… le sac gonflable… vous vous sentez bien ?
— Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Laissez-moi sortir… je suis sonné mais ça va !
— On va appeler l’ambulance, vos camarades… vous ne deviez venir que cet après-midi pour l’inspection des locaux. Horace ! Apporte un calvados au commandant…
Horace, tout juste arrivé au pied de la pente, sortit son téléphone en se dirigeant vers la cafétéria.
— Mais que fait cette vache sur mon véhicule ?
— Vous ne vous souvenez de rien ? Elle était sur le chemin, la vache. Encore une qui s’est échappée de l’enclos de chez Gouinfray : c’est courant ces temps- ci. Une affaire d’aiguilles de pin.
— Je n’ai jamais vu de vache devant moi ! Elle est sortie de nulle part. Un moment je conduisais et soudain, elle était sur le capot. Attendez, je vais arrêter les gyrophares et la sirène. C’est une histoire de fou ! Elle n’était pas là, cette vache… et puis, pouf ! elle était là…
— C’est le choc… laissez-moi vous conduire à l’intérieur de la cafétéria, au chaud. Quelques verres vous feront du bien. On téléphone au garagiste pour qu’il s’occupe du véhicule… c’est quand même incroyable que vous n’ayez pas vu cette vache se précipiter sur la route ! On pourrait sans doute relever ses traces… Bon Dieu !! Votre moteur est en flammes !!! Vite : allez vous réfugier dans la cafétéria et je m’occupe de l’extincteur. Et téléphonez à votre femme… Horace ! Horace !

Horace Spergule arriva à ses côtés, le souffle court, tenant deux verres en main : il cala le premier et tendit l’autre au commandant.

— Amène le commandant à l’intérieur et ne ménage pas le calvados… moi je m’occupe de l’incendie et de la vache.

Deux heures plus tard, la vache avait pris la direction du boucher de Clécy. Le Commandant, soutenu par ses confrères et souffrant tant du choc que de l’absorption de calvados, prenait la direction de son domicile pour s’y reposer quelques jours. Le garagiste était à remorquer le véhicule endommagé, tellement qu’il parlait de perte totale. Horace Spergule avait remis sur ses roues le quad, lui aussi perte totale, et roulait l’épave vers la remorque atelier. Heureusement, il existait des assurances pour ce genre d’accidents…

Martial Congère regardait le premier skieur de l’hiver dévaler la pente numéro 4, nommée « Le Bouchon de Cristal » en l’honneur d’un écrivain normand. Pour tout dire, Congère était assez satisfait de sa journée.
Il n’aurait plus à s’en faire pour les vaches de Goinfray qui devrait, dès le lendemain, veiller au grain sur son troupeau. Le remonte-pente fonctionnait à merveille. Le quad était assuré et on savait maintenant qu’un rouleau, c’était bien assez. Il n’avait plus à se préoccuper de la vérification d’usage faite par les pompiers : elle serait enterrée pour un bon moment sous la paperasse administrative cherchant à expliquer l’apparition d’un bovin sur un capot départemental. Pour se donner bonne conscience il avait offert au Commandant, pour sa fille, un poste de monitrice de ski durant la saison. La machine espresso donnait un excellent café. Et l’ouverture officielle avait lieu dans quelques jours !
Mais surtout l’approvisionnement en viande de bœuf était assurée pour la saison… le boucher allait y veiller.

Le skieur fit quelques virages rapides sur une surface damée à la perfection. Tout était pour le mieux !

Une ombre se profila derrière un taillis de bouleaux blancs…

 
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