Préambule du livre Abécédaire de l’Escalade, par Marco Troussier :
Pourquoi aimons-nous l’escalade ?
Sous une apparente simplicité la question est plutôt complexe. Peut-on réellement analyser et comprendre quelque chose qui procure, parfois du bien-être et parfois de la frustration, parfois du bonheur, parfois du malheur, parfois de la satisfaction, parfois de la peur, et qui relève pour une grande part de désirs et de plaisirs sans doute ancrés dans l’inconscient ?
On aurait pu poser la question dans sa variante – presque – universelle et anthropologique : « Pourquoi aimons nous grimper, nous élever, prendre de la hauteur ? Ces désirs sont- ils communs à tous les hommes ? L’expérience de la hauteur nous vient-elle de notre lointain passé simiesque où nous grimpions dans les arbres pour nous nourrir ? Est-ce une force en nous ou en-dehors qui nous anime ? Les deux ? »
À ces questions, chaque grimpeur apporte sa propre réponse et noue les fils qui composent cette créature interne, enfouie, cachée qu’il développe en lui.
Chaque être humain peut aussi sans doute trouver une réponse dans l’enfance pour peu qu’il soit capable de faire cette marche arrière, cette désescalade.
Sans s’élever, sans s’agripper, sans grimper il n’y a pas de liberté pour l’enfant. La capacité à mouvoir ses membres, puis à jouer de son corps est indissociable de la vie. Mais pourquoi aller plus haut alors qu’il est si simple d’aller plus loin un pas après l’autre ? C’est au prix de difficultés bien plus intenses que le plaisir est plus fort, répond le grimpeur.
L’escalade moderne s’est beaucoup affranchie des codes et des règles et tend de plus en plus vers une pure gymnastique du corps. Quoi de commun entre le « bloqueur » et le pratiquant du terrain d’aventure ou de la longueur de corde unique ? Peu de chose sans doute et il est donc difficile de rédiger l’abécédaire absolu et définitif de l’escalade. Grimper, finalement, n’est ce pas tout faire « à la verticale et au-delà » ?
Le présent abécédaire doit plus à l’improvisation du jazz ou au parcours « à vue » d’une voie, qu’à la suite de mouvements après travail qui sont comme les notes imposées d’une partition de musique classique. Il est donc probable qu’un autre auteur aurait fait une toute autre sélection de mots.
En particulier il ne sera question ici que d’escalade rocheuse et sportive et peu ou pas d’alpinisme.
Je dois quand même apporter une précision personnelle sur l’alpinisme. J’ai été grimpeur avant d’être alpiniste, car enfant plein d’énergie je me suis amusé à gravir des bouts de rocher au col des Montets au-dessus d’Argentière en regardant parfois l’Aiguille Verte et les aiguilles de Chamonix de ce point de vue exceptionnel. Je suis devenu alpiniste ensuite comme un grand nombre de grimpeurs de ma génération. Pourtant cet abécédaire trace une carte imaginaire de l’escalade mais pas de l’alpinisme. L’escalade est-elle la maladie infantile de l’alpinisme comme certains l’ont un peu rapidement pensé ? Je ne le crois pas, je pense au contraire que le plaisir de se mouvoir à la verticale est le début de tout. On devient alpiniste plus tard mais au plus profond de soi on est avant tout un grimpeur. Je laisse donc à d’autres passionnés de l’alpinisme le soin de rédiger l’abécédaire de celui-ci.
À l’exemple de René Daumal, qui définit l’alpinisme – genre masculin –, comme l’art de gravir les montagnes les plus difficiles avec la plus grande prudence, je propose de dire que l’escalade – genre féminin –, est l’art de gravir les passages rocheux les plus difficiles avec la plus grande maîtrise et le plus grand plaisir.
Retrouvez ce texte dans Abécédaire de l’Escalade.
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